Entretien avec Sébastien Boime À l’heure où les métropoles françaises tentent de concilier urgence climatique, pression foncière et préservation du cadre de vie, les urbanistes se trouvent en première ligne. Sébastien Boime, directeur de l’agence ID de Ville installée à Bordeaux depuis près de vingt ans, partage dans cet entretien son expérience du terrain et sa vision des enjeux urbains actuels. Sébastien Boime, directeur de l’agence ID de Ville Pouvez-vous présenter votre agence et ses missions ? Installée à Bordeaux depuis 2006, l’agence dirigée par Sébastien Boime réunit six urbanistes, dont deux architectes urbanistes et une juriste urbaniste. Leur travail se répartit en deux grands volets : la conception de documents réglementaires de planification, comme les plans locaux d’urbanisme, et des études plus opérationnelles liées à l’aménagement : création de logements, requalification d’espaces publics ou réaménagement de sites naturels sensibles. L’agence concentre ses interventions sur le Grand Sud-Ouest, dans un rayon de deux à trois heures autour de Bordeaux, pour rester au plus près des territoires et répondre efficacement aux appels d’offres publics qui structurent son activité. Quels enjeux guident votre métier aujourd’hui ? Travailler pour les collectivités implique une dimension éthique forte. L’urbanisme se conçoit avant tout comme un service d’intérêt général : garantir la sincérité des procédures, instaurer un dialogue entre élus, habitants et techniciens, et défendre une vision collective du territoire. Au-delà de cette base, le métier évolue au rythme des priorités sociétales et réglementaires. Après les années 2000 marquées par l’essor du développement durable, de nouveaux impératifs émergent : renaturation, désimperméabilisation, adaptation aux risques climatiques. Ces enjeux sont particulièrement vifs sur le littoral du Sud-Ouest, exposé à l’érosion et aux incendies, comme ceux de 2022 en Gironde. Dans ce contexte, l’urbaniste joue aussi un rôle de pédagogue pour accompagner collectivités et habitants. Autre dimension essentielle : la place du vivre-ensemble. Concevoir la ville, c’est organiser les espaces pour favoriser les rencontres, la mixité et la cohésion sociale au quotidien. Sur quels types de territoires intervenez-vous ? L’agence travaille sur des territoires variés : zones rurales, secteurs métropolitains et communes littorales, chacun exigeant des approches spécifiques. Dans les zones littorales, par exemple, les pressions foncières et environnementales nécessitent des documents d’urbanisme solides et précis. Le cœur de l’activité reste concentré sur les secteurs métropolitains et les espaces mixtes : quartiers résidentiels, zones économiques, espaces agricoles ou naturels. L’agence pilote aussi des projets d’aménagement innovants, comme les opérations Bimby (« Build in My Backyard »), qui optimisent les ressources foncières existantes en collaboration avec les habitants. Qu’en est-il de vos projets avec Bordeaux Métropole ? L’agence n’est pas directement engagée sur les grands projets urbains emblématiques de Bordeaux, souvent confiés à de grandes signatures architecturales. Elle a néanmoins contribué à l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUI), notamment sur la question sensible des droits à bâtir. Alors que la métropole fait face à une forte pénurie de logements, le cadre réglementaire actuel bloque certaines opérations et freine le renouvellement urbain, notamment dans les quartiers pavillonnaires. Face à ces verrous, des études et des échanges ont été menés pour inciter à faire évoluer les règles. Par ailleurs, la ville poursuit depuis 2020 une politique visible de végétalisation et de désimperméabilisation sous l’impulsion de la nouvelle majorité écologiste, signe qu’aujourd’hui, l’aménagement urbain se conjugue plus que jamais avec des enjeux de transition environnementale et de communication. Aujourd’hui, dans votre métier, comment se traduit la notion de “ville durable” ? Est-ce pour vous un enjeu majeur ? La question du développement durable est aujourd’hui intégrée dans le code de l’urbanisme et dans nos pratiques. Mais tout est une question d’interprétation : c’est là qu’on peut glisser vers le greenwashing, où l’action est simplement « verdie ». Tout est dans la nuance et dans le détail. Il y a des sujets devenus incontournables, comme la biodiversité, la gestion des zones humides ou la qualité des milieux naturels, très encadrés aujourd’hui. Mais au-delà, le cœur du sujet reste la mobilité. C’est là qu’on peut vraiment agir sur le changement climatique : en réorganisant les fonctions du territoire et la place de la voiture, notamment dans les espaces ruraux où elle reste indispensable. L’urbanisme, c’est un travail d’adaptation. On hérite souvent de structures conçues dans les années 50 pour la voiture. Il faut trouver des façons de les améliorer par petites étapes, sans brutalité, mais avec ambition. Et même si on peut être très vertueux localement, l’objectif, c’est l’impact global. Est-ce que la préservation de l’héritage est difficile à concilier avec le développement urbain ? L’héritage, ça peut être du patrimoine architectural, urbain ou paysager. On est dans un pays où ces formes sont anciennes, protégées. La vraie question, c’est toujours d’arbitrer entre protection et capacité d’évolution. La ville a toujours su se reconstruire sur elle-même. Il y a des éléments qu’on sanctuarise, d’autres qu’on peut faire évoluer avec prudence, sans les dénaturer. Et puis il y a tous ces tissus banals, sans grande valeur historique, mais avec une forte valeur affective ou sociale. Même là, on ne peut pas faire table rase : chaque parcelle a une histoire, un propriétaire, une mémoire. Il faut donc agir avec précaution. On doit construire du logement, des équipements, tout en limitant l’artificialisation des sols. L’enjeu est de trouver des gisements fonciers dans la ville elle-même, sans nier ce qu’elle est déjà. Si vous deviez imaginer la métropole bordelaise dans 20 ans, vous la verriez comment ? Ce serait une agglomération qui a réussi à créer du lien avec sa périphérie. Aujourd’hui, 80 % des déplacements se font de périphérie à périphérie. Il faudrait un projet fort, comme un train circulaire sur la rocade, à l’image de Berlin, pour mieux connecter ces territoires. Il faudrait aussi que Bordeaux conserve ses qualités : une ville basse, un tissu d’échoppes, et surtout la présence des familles, qui aujourd’hui peinent à se loger. Il y a des verrous réglementaires qui bloquent le renouvellement urbain. Il faut les lever. Et puis, il nous faut de vraies infrastructures cyclables, du niveau de Copenhague. La cyclabilité s’améliore, mais on est encore loin.